L’Éveil : une présence à ce qui est

Zazen 11 heures

Le moine Joshu demande au maître Nansen : « Qu’est-ce que la Voie ? » La réponse de maître Nansen est devenue célèbre : « L’esprit de la vie quotidienne est la Voie. »

Il n’est pas nécessaire de se mettre sur la tête, de faire des choses bizarres ou de se flageller. L’esprit de la vie quotidienne, c’est l’esprit dont on a besoin pour vivre au mieux le quotidien – se lever, se laver, aller aux toilettes, prendre son petit-déjeuner…–, l’esprit en paix dont on a besoin pour vivre au mieux la condition humaine.

Pourquoi est-ce si difficile d’accéder à l’esprit en paix ?

C’est le fait d’être centré sur nous-même, sur nos idées égocentriques, qui nous rend la vie difficile. L’obstacle à la paix de l’esprit, c’est de ne penser qu’à soi. L’obstacle, c’est le je, le moi, le mien, tout ce qui a attrait à moi, à mes sentiments, à ma souffrance, à mes pensées, à mes idées. Ces vues relatives au moi sont des vues partielles de la réalité, vues relatives seulement au moi. En fait, ce qui est relatif au je, au moi, au mien me sépare de la réalité. C’est parce que nous ne nous harmonisons pas avec la réalité, enfermés dans nos attitudes égoïstes, que nous rencontrons la souffrance.

Alors que « la pure réalité indivisible occupe toujours la première place dans le présent ».

La pratique du zen nous amène à être nous-même, tels que nous sommes, simples et sobres, l’esprit clair, en paix. Il n’y a alors plus de séparation entre nous et notre environnement. À chaque instant, nous nous emboîtons avec la réalité. À chaque instant, nous recevons et nous répondons à la réalité. C’est comme cela qu’à cette même question : « Qu’est-ce que la Voie ? », le grand maître Keizan répond :

Quand le thé est servi, boire le thé. Quand le riz est servi, manger le riz.

Suivre la réalité, être en unité avec elle, répondre sans cesse à la réalité, telle est la Voie.

Il y a dans la paix de l’esprit quelque chose d’inconscient, d’automatique, de naturel. Suivre l’ordre cosmique, la réalité ultime, indivisible (dont nous faisons partie, dont nous sommes une partie) est l’attitude de l’éveil.

On peut dire que la paix de l’esprit n’est autre que l’éveil de l’esprit à la réalité : quand l’esprit n’est plus agité par des peurs, des angoisses, des jalousies, la colère, la haine…

Assis en zazen, nous nous donnons à chaque instant à la réalité, nous ne poursuivons pas nos pensées, nous n’agitons pas nos passions. Nous ne créons pas toutes sortes d’illusions éloignées de la réalité. Seulement assis, à l’exclusion de toute autre chose. Totalement assis, nous devenons nous-mêmes, sans préoccupation autre. Seulement éveillé, présent à la réalité.

Seulement assis, c’est difficile !

On a toujours tendance à vouloir attraper quelque chose, à vouloir saisir la réalité, alors que nous sommes la réalité. Pendant zazen, on ne s’arrête sur rien, on ne cherche pas à prendre conscience de quoi que ce soit, l’esprit n’est pas tendu vers quoi que ce soit, il n’est agité par rien. Maître Keizan a écrit un autre poème qui traduit l’esprit de zazen :

C’est comme une boule laquée noire qui roule dans la nuit.

Cela veut dire qu’on ne peut pas voir, qu’on ne peut pas saisir quoi que ce soit. On ne peut pas distinguer la boule noire de l’obscurité de la nuit. Il n’y a pas de séparation entre nous et ce qui nous entoure. Nous sommes en parfaite continuité avec tout ce qui nous entoure et cela depuis toujours.

C’est difficile à accepter. Accepter une réalité où l’on est en unité avec toute chose, bien que l’on n’en n’ait pas conscience… Inconsciemment, naturellement, automatiquement sont les caractéristiques de l’éveil. Il faut donc avoir une grande foi dans le fait de lâcher prise. Lâcher prise à ses points de vue, à ses pensées, à ses idées, à ses idéologies, à sa souffrance, en un mot au je, au moi et au mien.

L’éveil : une présence stupéfiante à ce qui est.

Taiun JP Faure, janvier 2025