Se tourner vers la voie de l’éveil, c’est tourner son regard vers l’intérieur et éclairer ses illusions. Trop souvent on regarde à l’extérieur. On est pour cette équipe, contre l’autre, on est du côté de ce groupe plutôt que de l’autre…
Maître Dogen dit : « Vous devriez couper les liens avec les opinions mondaines. », du genre ça c’est vrai, ça c’est faux, ceux-là ont raison, ceux-là ont tort… Vous devriez tourner le regard vers l’intérieur, car votre vision dépend de votre esprit. La peur, par exemple, rétrécit la vision. La colère distord la réalité. Nos intérêts déforment la réalité.
Voir le monde à travers son ego – c’est-à-dire à travers l’ignorance de la voie du Bouddha, à travers l’avidité et l’aversion qui en résultent – est sans interêt pour mener sa vie. Parce que l’ego n’existe pas. L’ego n’est qu’une réduction, qu’une représentaion simplifiée, raccourcie de la réalité, la réalité de ce que je suis vraiment. Vous vous dites chercheur de la vérité alors que vous vous obstinez dans l’ignorance. « Vous affirmez l’existencce de l’ego alors qu’il n’existe pas. Vous vous accrochez à la vie alors qu’elle est non-née, éternelle. Vous devriez pratiquer l’éveil mais vous faites peu de cas de la réalité telle qu’elle est. » Vous vous contentez de courir après les illusions. Maître Dogen termine en disant : « Comment alors pourriez-vous éviter de vous tromper ? », c’est-à-dire de faire des mauvais choix.
Mais qu’est ce que l’ego, au juste ? L’ego c’est l’illusion de se croire séparé des autres existences. Se croire une entité séparée, autonome. Cette illusion de la séparation entraîne un sentiment de manque, d’insatisfaction ; parce qu’on se coupe de la totalité de la réalité, il nous manque quelque chose, d’où le désir de s’approprier des objets du monde. Et bien sûr, ça ne marche pas : plus on en a, plus on en veut. Aussi nous ne devrions pas être attaché à nos points de vue limités, nos points de vue égoïstes, à notre avidité, à notre aversion.
Pratiquer zazen, c’est adopter une attitude d’équanimité vis-à-vis de tout ce qui apparaît à l’esprit. On n’entretient pas les pensées, on ne les suit pas, on ne les rejette pas, on les laisse apparaître, se manifester et disparaître. Puisqu’on ne s’arrête pas sur ses émotions, ses pensées, sur ce qui apparait à l’esprit, alors l’esprit s’ouvre à l’infini. C’est avec cet esprit ouvert, vide – quand je dis vide, je veux dire attaché à aucun point de vue – c’est avec cet esprit-là que l’on peut voir la réalité telle qu’elle est. Comme disent les poètes : « On ne voit bien qu’avec le cœur. », c’est-à-dire avec l’esprit originel, sans limites, sans souillures.
S’il vous plaît, entendez cet enseignement, il nous concerne tous. Quand on parle du vide, dans le zen, on ne dit pas qu’il manque quelque chose à cet esprit vaste, on dit qu’il est vide de toute limite, de toute rigidité, comme le ciel est vide, même s’il laisse courir les nuages.
Le vaste ciel limpide n’est pas gêné par le vol des nuages blancs.
Je me souviens de la première parole de mon maître, Minamizawa Zenji, après la cérémonie de la transmission du Dharma : « Si vous dites que votre maître est meilleur que les autres, vous êtes un fauteur de guerre, vous n’êtes pas bouddhiste. » Aucune opinion n’est acceptable. Maintenez votre esprit libre de tout. L’esprit libre du moi est l’esprit libre de tout.
Taiun JP Faure, décembre 2024